L’abondance de vide
Résidence - L’Autre Gare
Une des particularités de l’estampe concerne les gestes répétitifs permettant le multiple. Symboliquement, cette technique que j’emploie est à l’image du travail à la chaîne découlant de l’hyperconsommation de notre société en quête de bonheur. Je tenterai d’illustrer ce comportement en fixant des amas d’impressions de papiers gravés aux murs composant diverses mises en espaces évolutives tout au cours de la résidence-création. J’expérimenterais également la performance afin de me filmer : où j’agirai telle une machine imprimant inlassablement avec une presse à gravure. Cette « Boulimie d’impressions » exprimera la frénésie excessive de gestes répétitifs illustrant l’épuisement physique et psychologique au travail. À tenter de suivre le rythme trop rapide de nos sociétés actuelles, on épuise les individus et la planète de ses ressources.
Par l’accumulation de papiers gravés, je désire représenter des effets de l’hyperconsommation. Poussant plus loin mes interrogations relatives à ce qui incite l’individu à surconsommer avec ses conséquences : anxiété, faible estime de soi, épuisement, dépression, endettement et marques dans la nature. Ainsi, approfondir ma démarche singulière de la trace et de l’empreinte écologique que laisse l’humain sur son passage.
Tel un miroir de nos sociétés où le paraître sublime le coût environnemental et humain dans la fabrication d’un bien, mon projet de recherche-création « L’abondance de vide », est un paradoxe : critiquant pourtant la surconsommation humaine, mes installations poétiques foisonnantes de papiers gaufrés créeront un espace paisible de méditation contemplative. Inciter à la décroissance, ralentir le rythme de travail, y ajouter l’art de la contemplation et la déambulation journalière au contact de la nature; ne sont-ils pas des outils d’atteinte de bonheur? D’ailleurs, « L’essayiste français Gilles Lipovetsky ne voit pas de sortie à l’horizon de l’hyperconsommation. Il place toutefois son espoir dans un programme d’éducation qui permettra aux jeunes de concevoir leur bonheur autrement que comme une marchandise. »[1]
[1] ROUSSIL, Julie, La société d’hyperconsommation n’a pas dit son dernier mot, Le Devoir, 9 octobre 2021
Texte d’Emmanuelle Breton, 2024.
Emmanuelle Breton
Artiste
Démarche:
Issue de la ruralité, je suis habitée par le respect de la nature et de ses écosystèmes; des valeurs racinaires d’origines familiales, ainsi que par l’équité entre les sexes et la reconnaissance de l’apport, passé ou actuel, de la femme dans la société. Ma pratique artistique identitaire se réclame donc de l’écoféminisme. De petit format, mes œuvres n’en évoquent pas moins de vastes questions. Tout mon travail artistique est habité par une conscience aiguë des limites du vivant. Mes intentions de création se veulent des antidotes à la précarité menaçant l’équilibre. Ma recherche-création se déploie par la linogravure, technique de l’estampe passant de la gravure sur plaque au procédé d’impression sur papier. À partir d’objets du quotidien et de matrices, je compose mes images poétiques avec des matériaux dont le chine collé, l’encre et le blanc du papier. L’emploi de la technique du gaufrage marque le papier, permet d’affirmer sans crier. Symboliquement, elle donne un espace d’expression aux voix éteintes. En outre, je développe des œuvres d’art relationnel où la collaboration du public est requise afin de compléter une part de mes installations. La rencontre avec l’autre permet de tisser des liens et tente de dissoudre la solitude. Inhérentes aux icônes personnelles utilisées, des questions de valeur, d’identité, d’empreinte et d’éternelles luttes pour le respect de soi et de l’autre, pour davantage d’équité et de respect de l’environnement. Mes œuvres délicates et intimistes tentent, enfin, de nous porter doucement vers une prise de conscience universelle.
Biographie:
Artiste originaire de la région rurale des Etchemins (QC), Emmanuelle Breton s’intéresse à l’importance de la préservation de la nature et de l’équité entre les sexes. Écoféministe, elle développe une pratique en estampe autour de la marque laissée par l’humain sur son passage. Elle se voit décerner par le centre d’artistes Engramme, deux prix, marquant le début de sa carrière professionnelle. Elle expose ses œuvres en solo ou en collectif dans divers musées (Marius-Barbeau à Saint-Joseph-de-Beauce, Civilisation de Québec, Hôtel des postes à Victoriaville) et centres d’artistes (Engramme, Regart). Elle expose à la Biennale SUDestampe de Nîmes en France en 2016 ainsi qu’à L’Espace 11e Biectr, des œuvres de la collection BIECTR (QC), en 2019. Ses œuvres font partie de collections privées (Australie, Belgique, Canada, États-Unis, France, Japon), publiques (Méduse, Loto Québec, BIECTR, Cégep Beauce-Appalaches, Ville de Lévis) et elle est inscrite au Fichier des artistes de la Politique d’intégration des arts à l’architecture du Québec depuis juin 2023. Enfin, l’artiste résidente de Lévis (QC) est titulaire d’un baccalauréat en arts visuels et d’un microprogramme de 2e cycle en éditions de livre d’artiste de l’Université Laval (QC).